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Murs
Aurelie Ondine Menninger
 

Murs plus hauts que l’Everest que beaucoup ont rêvé de gravir avant d’y renoncer, mur du son devenu chant intime, murs traversés par l’homme invisible, parois de verre devenues miroir sans tain de nous-mêmes…
Murs tremblant d’effroi, telles des portes refermées sur elles-mêmes, murs que l’on rêve transparents pour passer de l’autre côté, murs fissurés où courent des frissons, murs épais devenus peaux réceptacles des transes, de tant d’angoisses et de désespoir…
Murs si hauts, si épais, murs de pierre scellés par le ciment, les sueurs froides et les transpirations des travailleurs portant chaque part à l’édifice comme Sisyphe, avant de recommencer.
Murs de sang et de suie, grattés par les ongles de la folie, murs des pyramides et des camps de concentration, tachés de crachats, inondés de larmes, parsemés de traînées de poudre.
Mur de Jérusalem aux prières cachées, où des messages de peine et de détresse murmurent entre les fins espaces de chaque pierre comme une lente lamentation. Barrière de Gaza d’acier et de béton où résonnent les cris des blessés, aux griffes des barbelés d’une frontière figée, où sont tombés les corps vidés de leur sang, face à l’absence de sens et la mort de ses enfants. 
Mur de Berlin, tombé sous la révolte…
Murs des esprits s’écroulant! “Sous les pavés la plage” criaient-ils en mai 68.
Mur interminable de Chine aux longues méditations, murs longeant la promenade des philosophes de Heidelberg, petite ruelle de l’esprit, souvenir de Rousseau à Strasbourg, murs de ma pensée que mille fois j’ai vu se dissoudre comme de la craie sous l’éponge mouillant l'ardoise noire d’une salle de classe, murs des écoles, des prisons, murs aux barreaux de fer, murs des extases et des maisons closes, des chambres sans issue, où l’on entre sans voix et sans bras des hôpitaux psychiatriques clouant chaque battement dans les tempes, marquant chaque angoisse au fer rouge.
Lorsque l’on annihile les murs de la raison, il y a encore ceux de la folle peine qui est douleur…
Tant de murs encore, qui retiennent en cage les rêves, et les éternelles utopies.

“Si seulement je pouvais passer un bras, puis un deuxième et rejoindre l’autre côté…”

Tous le pensent, tous sont seuls.
Murs peints, maquillés de graffitis, défigurés ou revêtus d’oeuvres d’Art, aux briques recouvertes de salive, couchant des mensonges, murs des cimetières hantés, aux pierres tombales debout comme des hommes ou des arbres dans l’attente d’une nouvelle vie.


Murs tombés sous les coups, sous les bombes, ressuscités par la poésie, les dessins et les éternels cris.
Murs des recommencements se présentant comme une page.
Murs, murs, encore des murs!
Dans la solitude de la nuit…Qui n’ont fait que séparer ce qui pouvait se rejoindre, enfermer ce qui était libre, réduire l’espace de ce qui était né infini…

Ouvrez donc les portes, les fenêtres de ces murs qui ne sont que des fictions…
Partez, allez rejoindre les forêts, que les esprits volent à nouveau, faisant de nous des enfants bien heureux.

Murs anonymes et murs célèbres,
mur de l’Apartheid, de la frontière mexicaine, mur d’Aurélien, d’Hadrien, mur païen, et rideau de fer, mur de la faim de Prague ou de la démocratie à Pékin, mur de la peste et mur de jéricho, mur des “je t’aime” à Montmartre, murs de fractures, divisant, séparant, et murs de refuge, murs comme des parents, ou des garde-fous, murs…
Murs court-circuits, murs de sourds et muets, murs de Sacsayhuaman, entre lesquels reposent les dieux, murs de transition entre deux phrases, murs de sables de châteaux en Espagne, ruines de murs, détruits et réduits en cendres après les guerres…
Murs des tranchées, murs de peaux déchirées…
Murs, où l’on a perdu la vue, où le deuxième œil, la lentille pure des fontaines, de la pierre philosophale, pierre des pierres, celle des premières villes, le minéral sacré, s’inscrit comme la clef des peuples ouvrant sur les multiples dimensions de soi.
Murs où traînent les lépreux, les misérables, les pauvres, les affamés…Priez pour qu’ils s’ouvrent!, Pour que les souffrants et les dits sains se retrouvent, devant la maladie mortelle qu’est la vie!
Priez pour que reviennent le temps des chutes, celle de la Bastille, et ces temps où se sont effondrés les toits des maisons, les tours jumelles de Wall Street, et toutes les tours de Babel…

Murs ciselés par les caresses des fauves, ou gardant les voix dentelées des princesses au sommet des tours des donjons, prisonnières attendant leur sauveur plongées dans l’obscurité des oubliettes comptant les pétales des marguerites.
Murs enduits d’ennui et de boue, témoins des explosions d’obus de 14-18, murs de désolation, isolant les corps ou divisant les ombres, changeant de couleur selon la tension de la lumière,
murs ravagés par le temps, envahis par les mauvaises herbes et le lierre, enserrant la mémoire sous la lune.
Murs se mouvant selon l’état des marées, murs des ports, des quais, des prochains départs et futurs amarrages, recouverts par les vagues comme les draps de lits d’un lendemain de nuit passionnée.


Murs de honte dissimulant les monstres, condamnant les malades, les attardés mentaux, les fous, les délirants, les orphelins et autres exilés, marginaux du monde tentant de vivre malgré tout.
Murs des salles d’attente, d’habitants sans nom, de maisons abandonnées aux silhouettes informes des villes désertées…
Murs des asiles, des dits-dégénérés…

“On essaie de vivre”, murmurent-ils…

Murs des digues aux structures pourries, où algues, crustacés se sont nichés pour tenir la réputation de temps anciens et répondre à ceux qui continuent de questionner les profondeurs du mystère.

La création s’y cogne à ces murs! Oui, et la philosophie! 
Elle s’y infiltre, glisse sur lui, avec l’élégance du révolté, elle se dresse et l’accompagne, avec audace de l’ardente liberté!
La philosophie, telle une femme nue, revêtue d’espoir, armée d’utopie, devant tous, enfin, redonne la parole aux murs!

Murs des cirques aux pistes tournant en rond, devant l’autorité des cartes et l’accident du pouvoir au goût de soumission!
Murs au glissements de terrains, redevenus montagnes, collines, fresques ondulantes entre vallées, plaines, et élans croisés du feu et de la glace.
Murs de la division divine, aux couloirs de nuit interminables où a été amenée Eurydice, où s’est pendue Antigone, où Hercule tua, dit-on, le minotaure…
Murs devant l’inquiétante perte d’équilibre, et ce spectre de foire, ce panneau d’opposition que personne n’ose franchir parce qu’ils nous ont nourri de peurs.
Murs des fusillés, ayant vu les hommes mourir les bras levés, le regard rempli d'effroi comme l’a peint Goya.
Murs de la mémoire, aux noms des disparus, des assassinés, des martyrs, ou des esclaves, des victimes, des rebelles… 

Ces pierres, toutes ces pierres, cimentant des amnésies, formant des montagnes de carton pâte sur des accumulations de mensonges et de trahisons…
Ces laids piédestals à l’effigie de la haine, s’élevant tels des pièges, imitant les dieux, soumettant de nouveaux esclaves en les séduisant, tels des politiciens, avec de fausses promesses…

Ne les craignons plus, ne craignons plus rien! N'ayons plus peur! Voilà la clef!
Car…

(j’entendis souffler mon ami, et j’ai compris que je m’approchais progressivement de moi-même, portée par des milliers d’âmes, anges m’escortant vers une pensée que je reconnaissais comme venant des profondeurs)

 

​Les chants montent plus haut que les plus hauts des murs…
Des chœurs des hommes s’élèvent des notes celestiales traversant l’espace-temps atteignant l’âme du monde.
Chaque voix émet une onde d’amour…
Toutes les voix de tous les hommes ensemble sont comme l’écrivit Nazim Hikmet, plus beaux, et plus puissants que les hommes eux-mêmes…


Ils sont “plus lourds d’espoir,
plus tristes,
plus durables” disait-il….


Alors rassemblons-nous, au nom de la poésie des peuples, et résistons! 
Traversons en chantant, ces grands murs devant ces joyeux chaos!
Passons à travers ces sorciers abîmes, et baignons-nous, ardents, heureux de nous retrouver, dans les marmites orgiaques des siècles où brûlent les formules des éternels recommencements.
Nous désintégrerons la matière avec le sentiment collectif d’être vivant chevillé à l’âme.
En cercle, nous sortirons en fièvre, fiers et sereins devant la réalité de la mort.
Nous nous hisserons, au-delà des utopies, jouant à nous aimer, sautant d’un nuage à l’autre!
Aussi, nous rejoindrons les étoiles, défiant, la pesanteur et le néant…

Au-delà des murs renfermant sur eux-mêmes la fiction des vents, des tempêtes, et des soleils rouges, nous fermerons la boîte de Pandore et nous nous dresserons sur l’azur, enfin libres, partageant nos rêves et nos espoirs sur l’immensité des océans…

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